Eric Elouga: « ce que les Canal d’Or doivent améliorer »

Le Rédacteur en chef des magazines de la Société de Presse et d’Editions du Cameroun (SOPECAM), s’est exprimé sur la cérémonie des Canal d’Or 2023 qui a eu lieu ce 28 octobre à Yaoundé. Entre analyse des travaux  sur la culture et propositions d’amélioration, voici son texte.

« Si l’on passe outre les couacs techniques, toujours difficiles à juguler dans une organisation de cette envergure avec les aléas du direct, et le sempiternel problème de longueur qui aura desservi les audiences à partir d’une certaine heure au profit de l’autre grand événement de la soirée, les CANAL2OR acte 14 ont offert un moment de qualité dans l’ensemble. Le décorum, le glamour du red carpet, la qualité de l’ouverture avec un thème inspiré et globalement respecté, des prestations scéniques solides et, mon petit coup de coeur, une Aimé-Cathy Moukouri excellente à la présentation quand le micro ne la lâchait pas, au point de supplanter la « légende » Pascal Pierre. Mon principal regret sur la forme, une ambiance un peu trop « sage » entre une scène qui n’a pas déployé suffisamment de pyrotechnique et d’effets spéciaux pour nous en mettre plein la vue, et le public (il est vrai constitué en majorité de personnalités d’un certain rang) qui n’a suivi que très timidement les artistes dans leur volonté de mettre le feu. Mais bon, la sobriété a parfois aussi du bon.
S’agissant des récompenses, honnêtement il n’y a aucun gros scandale. C’est la nature même de ce type de cérémonies que d’avoir des choix discutables, questionnés ou contestés. Mais dans ce cas précis, même les lauréats qui ne font pas l’unanimité, on peut au moins comprendre les raisons de leur désignation. Et pour beaucoup, tout le monde s’accordera à reconnaître qu’ils méritent. Pour autant, il m’est difficile de considérer cet acte 14 malgré ses améliorations sur l’édition précédente, comme une masterclass. Et je pense que l’organisation gagnerait à faire des réajustements dans son dispositif sur certains points.
– HARMONISER LES NOMINATIONS PAR CATÉGORIE : le fait d’avoir 4 nominés sur certaines catégories, puis 7 dans une autre, 6 ici, 10 là-bas (et je crois même 12 sur l’une d’elles) n’aide pas à créer une cohérence d’ensemble, sans compter l’impact que ça a sur la durée du show. Une cérémonie de récompenses, ce n’est pas l’école des fans, où il faut faire plaisir à la majorité en allongeant inutilement la liste des nominés pour ne pas braquer les fan-bases. Il y aura toujours des gens pour se demander pourquoi untel n’a pas été nominé même avec 20 nominés, et à l’inverse plus il ya de nominés et plus on augmente la probabilité de contestation du choix du lauréat. Qu’importe qu’un domaine soit particulièrement prolifique, un travail de sélection rigoureux peut toujours permettre d’écremer suffisamment pour proposer les 4 ou 5 qui se détachent, vu que de toute façon à la fin il faudra bien n’en choisir qu’un.
SYNTHETISER LES CATÉGORIES : les féministes les plus engagées savent que le vrai progrès n’est pas de tout féminiser, mais parfois de mettre l’homme et la femme sur le même podium. Si pour certaines catégories le fait de récompenser hommes et femmes séparément fait sens, les catégories mineures comme webcomediens ou digital pouvaient être faites en mixte pour épurer et écourter la cérémonie.
– PRIX SPÉCIAL : ce qui rend un prix SPÉCIAL, c’est précisément son caractère UNIQUE. Les Césars ou les Oscars d’honneur consacrent généralement une seule personnalité par édition. Là encore, Canal d’or 14 l’a joué école des fans, tout le monde il est beau et génial. Six ou sept personnes qui reçoivent le même prix, ce dernier n’a plus rien de spécial.
– BRIEFER LES LAURÉATS : une cérémonie de cette envergure, suivie à l’international avec des personnalités de premier plan dans la salle, doit éviter le spectacle un peu villageois de lauréats qui débarquent sur scène avec pères, cousins, ou toute la Cliqua de leur quartier d’origine. Ça reste des récompenses professionnelles. On peut venir sur scène avec ceux qui ont contribué à la réussite professionnelle comme son manager, et rendre hommage à ses proches dans le discours, ou leur faire un clin d’œil sympathique de là où ils se trouvent….en tribunes. On n’a pas besoin de leur donner la parole sur une telle estrade, même si c’est pour prouver à quel point on les aime.
– FAIRE DES CHOIX CLAIRS ET LES EXPLIQUER: est-ce le public à qui on a donné la possibilité de voter depuis deux mois qui a conduit aux résultats du soir ? Ou alors les fameux membres du jury présentés au début du programme ? Cette question n’a jamais été complètement tranchée et souvent à l’origine des choix les plus contestés des canal d’or. Personnellement je n’ai jamais été fan du recours au public qui consacre la popularité plus que la qualité. Et qui pour certaines catégories biaiserait même le résultat en defavorisant des productions de qualité mais qui n’ont pas bien été distribuées. Mais si telle est l’option de l’organisation, on doit indiquer les catégories où cela s’applique et au besoin révéler les comptes des votes. Pareil pour le corpus pris en compte. Depuis que l’événement se déroule tous les deux ans, cette dimension n’a jamais été très claire. Juge-t-on les performances de 2023? De 2022? De 2022 et 2023? Savoir la période d’évaluation est également important pour mieux comprendre les choix à la fois des nominés et des lauréats.
Quoiqu’il en soit, un grand bravo au comité d’organisation à la fois pour la qualité intrinsèque de cette édition et pour la constance depuis près de 20 ans à faire vivre cet événement qui est un défi logistique immense. On espère que 2025 sera meilleur encore. ».
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Eric Elouga: »…une intrigue qui tourne sans savoir où elle veut aller « 

 

Le Rec des magazines à Sopecam a fait une analyse sur la série La Bataille des chéries.

« LE VRAI PROBLÈME DE LA BATAILLE DES CHÉRIES« . Tel est l’intitulé du texte qu’a proposé Eric Elouga ce jour pour faire une analyse de la nouvelle série de Ebenezer Kepombia.
« Si en terme d’audience le succès devrait encore être au rendez-vous pour la dernière série de Pa’a Kepomb, les premiers avis ont laissé transparaître ça et là des formes de déceptions. MADAME MONSIEUR, j’en ai parlé, avait d’énormes problèmes de cohérence et d’écriture mais savait captiver son public au point d’en devenir addictive pour les plus passionnés. Pourquoi LA BATAILLE DES CHÉRIES a ce je ne sais quoi qui fait que (pour l’instant) ça accroche nettement moins ? Parce que la série n’a pas réussi son pari de L’IMMERSION« .
« Dans toute œuvre de fiction, il y a un contrat tacite qui se tisse entre le produit et son public. L’œuvre propose un univers et dans le champ de celui-ci développe des éléments de cohérence interne qui doivent susciter un sentiment d’ IMMERSION. Et en contrepartie, le lecteur ou téléspectateur y adhère à travers ce que les spécialistes du 7e art appellent la suspension volontaire d’incrédulité (SVI). C’est la SVI qui fait par exemple que vous pouvez regarder un starwars ou un film Marvel en acceptant un univers où on se déplace dans l’espace, utilise des sabre lasers, où on envoie des boules de feu, alors qu’on a bien conscience que dans la vraie vie ça ne pourrait exister. Mais pour que cette IMMERSION fonctionne, il est important que tous les éléments narratifs donnent l’impression d’une cohérence d’ensemble rendant le récit crédible, à défaut d’être réaliste. Pour prendre un exemple, si votre film est censé se dérouler dans les années 1800, mais qu’on y voit des gens habillés en jean et conduire des Mercedes au lieu des carrosses, ce défaut de cohérence empêche immédiatement L’IMMERSION« .
« En prenant pour toile de fond de son intrigue le domaine de la politique, LA BATAILLE DES CHÉRIES a fait un choix très casse-gueule. La politique est un domaine social complexe où le différentiel entre sa vitrine publique et ses coulisses requiert une subtilité d’écriture extrême pour arriver à bien le restituer. Les modèles du genre comme HOUSE OF CARDS, SCANDAL, ou GAME OF THRONE, ont su en saisir l’essence pour mettre en scène cette subtilité narrative qui combine les ambivalences, volte-faces, trahisons inattendues, opportunisme et allégeances, alliances contre-nature, des enjeux qui évoluent et changent tout comme les intérêts, le tout avec une violence où jamais la violence, le manichéisme et la naïveté n’ont de place. Quand ce mélange est réussi, même pour un public non averti sur les questions politiques, c’est un régal« .
« Mais dans LA BATAILLE DES CHÉRIES, cette toile de fond de la politique nous est présentée avec un simplisme déroutant. Les enjeux électoraux sont extrêmement basiques et monocordes, avec un développement sans nuance. Les trajectoires des personnages n’en sont que plus lisses, prévisibles et les arcs peu intéressants. Jamais on ne ressent le côté stratégique, la roublardise, les coups qu’on n’a pas vu venir et cette brutalité cynique qui non seulement donnent du piquant à la mise en scène de la politique à l’écran, mais surtout sont calqués sur ce qu’elle est dans la réalité.
Les questions communautaires par exemple, qui en Afrique sont le sel même du combat politique, ne sont presque pas abordées (le nzuiland étant un État fictif cet aspect pouvait pourtant aisément être traité sans craindre de fâcher), le poids de l’argent (qui achète les consciences des électeurs comme les allégeances changeantes des barons politiques, de l’administration ou des corps intermédiaires comme les médias) est traité trop superficiellement. Tout comme la scène du procès (où il y a des OBJECTIONS VOTRE HONNEUR alors qu’il s’agit d’une spécificité propre au système judiciaire américain), on assiste à une parodie de politique, structurée autour de clichés grossiers« .
« Du coup même pour les moins familiers des arcanes politiques, une partie du public ressent que ce qui lui est proposé sonne faux, ne correspond pas complètement aux codes du genre. Même s’il n’a pas les outils d’analyse pour comprendre pourquoi, l’absence d’IMMERSION s’installe d’elle-même, se traduisant par cette impression de lassitude devant une intrigue qui tourne sans savoir où elle veut aller. Seul le volet des rivalités entre les « chéries » parvient péniblement à raccrocher aux branches l’intérêt des inconditionnels. Mais là aussi, il y aurait pas mal à redire, sans doute dans une publication prochaine qui évoquera d’autres aspects de l’écriture et de l’acting. Avec un traitement particulier pour l’actrice principale du show, dont l’analyse du jeu a, pour les passionnés de cinéma comme moi, bien des choses intéressantes à révéler« .
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